Les effets de la lumière sur le béton chez Tadao Ando
Source : toutsurlarchi.com
INTRODUCTION
Le présent mémoire est une étude de l’oeuvre de Tadao Ando qui vise à comprendre les relations complexes entre le léger et le lourd, l’immateriel et le matériel, c’est
à dire la lumière et le béton.
Ce sont deux matériaux que tout oppose et qui pourtant, une fois mis en scène, viennent créer une poétique de l’espace, dessinent des parcours, mettent en valeur
des lieux ou au contraire dissimulent une partie des volumes.
Le béton vient cerner des espaces à l’aide de parois ; la lumière, quant à elle, est changeante et revêt différentes apparences en fonction de l’espace et du temps.
L’un est donc le symbole de la permanence et de la stabilité, l’autre est plus dans le registre de l’impermanence et de la mobilité.
Les murs et la lumière ont entre eux différents types de relations plus ou moins complexes. Les jeux de la lumière sur le béton donnent deux résultats différents : l’un est du registre de l’art sur un plan vertical ( tableau ), et l’autre de l’architecture des volumes ( qui est aussi en soit une forme d’art ).
En effet quand la lumière se fait rasante, elle fait apparaître sur un mur toutes ses aspérités et crée ce que l’on peut nommer un mur tableau vivant qui fera l’objet de la première partie. Le plan vertical fait plus appel à un côté artistique, contrairement au volume qui va traiter de l’architecture.
La lumière dans les volumes fera l’objet de la seconde partie qui vise à référencier les différents procédés utilisés pour valoriser les espaces. On s’apercevra que toutes
les lumières n’ont pas le même impact sur les pièces, et que le type d’ouverture et l’orientation influent grandement sur les effets produits.
Dans tous les cas, seule la lumière naturelle sera étudiée, non pas que la lumière artificielle chez Ando soit inintéressante, mais la lumière du soleil a beaucoup de variantes et peut faire l’objet d’une étude poussée, alors que la lumière artificielle reste fixe et ne change pas ; la lumière artificielle rejoint la permanence du béton et le fait de supprimer ce contraste entre l’impermanence et l’immuable rend l’étude beaucoup moins intéressante. De plus la lumière naturelle fait l’objet d’une réflexion sur le temps qui passe, les saisons, et donc de la vie de l’homme dans les espaces.
La lumière est la composante maîtresse des ambiances visuelles et tous les architectes de grande renommé l’on bien compris.Mais ce qui rend l’oeuvre d’Ando unique, c’est le remaniement des principes de l’architecture traditionnelle nippone. Le style de vie japonais diffère grandement du notre ; il est beaucoup plus proche de la nature et il n’est pas inconcevable pour un Japonais de ressentir le vent, d’entendre la pluie… quand il est chez lui. En effet, dans la maison Koshino, les murs de béton ne sont pas isolés et il n’est pas rare en hiver de voir le thermomètre chuter sous le 0°C, ce qu’il serait tout simplement impossible de faire en Europe.
Il est nécessaire d’avoir ces informations en mémoire pour apprécier et comprendre les qualités de l’architecture de Tadao Ando.
PRESENTATION DE LA MAISON KOSHINO :
Dans de nombreuses oeuvres d’Ando, on retrouve ce que l’on peut appeler des murs tableaux ; c’est à dire des murs qui sont de véritables oeuvres d’art à part entière. Ces oeuvres sont réalisées à l’aide de deux matériaux : la lumière et le béton. Parmi toutes ces oeuvres on peut citer celle du centre commercial de Oxy Unagidani à Osaka, la chapelle du mont Rokko à Kobe ou encore l’espace de mé-ditation de l’UNESCO à Paris. Néanmoins, pour illustrer cette notion de mur tableau vivant, la maison Koshino à Ashiya au Japon semble être la plus appropriée. Tout d’abord, une première partie consistera à décomposer les différents éléments et à comprendre comment Ando les associe ; une deuxième partie analysera les significations de l’évolution des ombres sur les murs, et enfin une troisième mettra en évidence les effets produits par cette mise en scène lumineuse. Afin de comprendre la complexité des choix lumineux qu’a faits Tadao Ando, il faut visualiser ou se situe ce mur dans la maison, mais aussi comment la maison s’oriente par rapport au terrain et à la course du soleil. Cette maison est située dans un cadre naturel privilégié, étant donnée qu’elle est à flanc de montagne, dans un cadre fortement arboré. Le bâtiment principal fut achevé en février 1981 ; il comprend deux volumes rectangulaires parallèles, reliés par une galerie souterraine. Le bâtiment fît l’objet d’un agrandissement en mars 1984, qui est constitué d’un unique volume en demi-lune. Le matériau utilisé pour la structure est le béton armé, pour une surface habitable de 294.3m².
I – LE MUR : UN TABLEAU VIVANT
1) Sa mise en oeuvre :
Chez Ando, l’harmonie dans la construction est très importante ; il n’utilise que très peu de matériaux différents. Cependant, en employant des matériaux d’une grande simplicité, il parvient à créer des ambiances et des effets bien plus complexes. Son matériau de prédilection ( le béton ) est lourd et froid. Mais Ando va l’exploiter de telle façon qu’il pourra le rendre tantôt lisse, tantôt rugueux, tantôt reflechissant, tantôt absorbeur de lumière. Pour arriver à ses fins, Ando doit contrôler tous les éléments du projet ; c’est pourquoi il érige de façon quasi systématique une enceinte autour de ses constructions. Grâce à ce procédé, il parvient à obtenir un espace coupé de l’extérieur et ayant des caractéristiques lumineuses propres. De cette façon, il fixe une lumière “de base” ( ou plutôt une pénombre de base ) dans son projet qu’il viendra par la suite modifier par des apports de lumière ponctuels. L’art d’Ando est fondé sur le constraste ; c’est en assombrissant certains espaces que l’on peut en révéler d’autres, et ainsi focaliser l’attention sur des détails. Dans l’exemple de la maison Koshino, Ando joue sur la “non-noblesse” du béton en le laissant brut, avec tous ses defauts. Le mur est ainsi texturé par sa mise en oeuvre et l’on peut voir les balèvres entre deux coffrages qui font saillie sur la surface. Un rythme est donné sur le mur par la régularité des points de mise en oeuvre ainsi que celle des dimensions des blocs de béton ( qui font la taille d’un tatami ). Une fois de plus on retrouve cette idée d’un élément et de son contraire : la régularité dans les dimensions des blocs de béton qui est perturbée par l’irrégularité des balèvres laissées par ce même béton.
Le mur est ainsi texturé. Ajouté à cela, un système lumineux zénithal, une grande fente horizontale planant au dessus du vide, vient déchirer la masse de béton du plafond. Le jeu du lourd / léger prend alors toute sa signification. A quelques endroits stratégiques, les murs et la toiture sont épaissis afin de renforcer cette pression, cette lourdeur qui plane afin de faire ressortir davantage la fente lumineuse. En effet, à l’endroit où la tranche de la dalle devient visible, l’épaisseur du béton est triplée. Ainsi le visiteur peut ressentir toute la lourdeur du plafond qui pèse au dessus de lui.
Cette exagération de la masse permet de révéler de façon encore plus prononcée la rupture qu’amène cette tranchée lumineuse.
De plus, cette ouverture est très justement proportionnée ; elle est d’une grande finesse, à peine 35cm d’épaisseur, ce qui a pour effet de la faire paraître plus
longue qu’elle n’est en réalité.
C’est par ce procédé qu’Ando va pouvoir faire descendre une lumière rasante, diffuse et homogène le long du mur. Ainsi cette lumière va révéler mais aussi accentuer toutes les aspérités du murs. Ando travaille alors avec des ombres franches ( la poutre ), des ombres diffuses (balèvres ), et des lumières franches ( rayons directs).
Le choix de l’orientation est aussi très important parce que c’est elle qui donnera des courses plus ou moins longues au soleil, la couleur de la lumière, son intensité. Dans le cas du mur du salon de la maison Koshino, Ando a placé la maison plein sud pour avoir le plus de variations possibles au cours de la journée, et pour travailler avec des ombres franches portées directement sur le mur. De plus, ce mur possède une telle linéarité que les rayons du soleil peuvent éclairer la majeure partie de sa longueur. Dernier élément du tableau : la double hauteur. Celle-ci a pour premier effet d’offrir une respiration dans la maison qui est quelque peu exiguë ; elle permet d’avoir une plus grande surface pour travailler avec les ombres des balèvres. Cette hauteur est également finement calculée pour que l’on puisse admirer le tableau dans son ensemble ( en se collant sur le mur opposé ) sans avoir ni à lever ni à baisser la tête. En effet, on peut voir que sur la photographie, un seul cliché permet de révéler le sommet du mur et le sol.
2) Evolution et significations
Le temps qui passe joue un rôle très important dans la philosophie d’Ando et par conséquent dans son architecture. En regardant ses murs, et en connaissant l’implantation de la maison, on peut en déduire l’heure de la journée. En effet, dans le salon de la maison Koshino, l’ombre franche de la poutre dessine un demi arc de cercle plus ou moins long et plus ou moins oblique, qui évolue en fonction des saisons et de l’heure de la journée. Cette composition architecturale est tout à fait comparable à un cadran solaire. Il y a dans l’architecture nippone un besoin d’être en relation permanente avec son extérieur. La lumière naturelle a une vie mouvante, elle éclot puis se métamorphose et enfin s’évanouit progressivement. D’une certaine façon, le fait de mettre en scène la lumière par ce système zénithal apporte au salon de la maison Koshino un lien avec l’extérieur beaucoup plus subtil qu’une simple fenêtre. En effet le paysage est masqué et le regard ne se perd pas dans une foule de détails. La nature est donc décomposée pour n’en garder que son empreinte lumineuse.
L’ombre est donc variable et son existence est fortement liée au temps de la journée et de l’année. Le temps est un concept développé par l’être humain pour appréhender le changement dans le monde. Le temps ne peut pas être modifié, il fait appel à des choses qui nous dépassent, que l’on ne peut pas contrôler. Puisque
l’homme n’a aucune influence sur les saisons et sur le temps,c’est qu’ils sont contrôlé par une force supérieure.
Dans toutes les religions et les cultures, la lumière et le temps font appel aux divinités et donc au divin. Inconsciemment, c’est le rapprochement que l’on fait quand on regarde l’architecture d’Ando quelle que soit notre origine ; c’est instinctif, on ressent une forte spiritualité qui s’échappe de ces lieux. La matière et la lumière ont donc autant d’importance l’une que l’autre en ce qui concerne la constitution de l’espace ; cependant la lumière à le rôle de perturbateur imprévisible, qui reprend au béton sa
permanence en le rendant impermanent.
Ando a réalisé plusieures séries de photos tout au long de la journée qui viennent retranscrire la course du soleil à travers tel ou tel espace. Et c’est là que l’on peut
parler de mur tableau, voir de mur tableau impressionniste.
En effet on retrouve le même procédé de “séries” dans les peintures impressionnistes de Monet qui réalisa une série de plus de 30 tableaux représentant la cathédrale de Rouen à differents moment de la journée. Changeant de canevas selon la lumière, Monet suivait les heures de la journée, depuis le petit matin avec la façade en bleu ombrée de brouillard, à l’après-midi, quand le soleil disparaissant derrière les constructions de la ville, transformait l’oeuvre de pierre érodée par le temps en une étrange fabrique d’orange et de bleu. On retrouve dans ces tableaux des changements de couleurs comme on en retrouve sur le mur du salon de la maison Koshino. Le mur est orange en été, jaune en automne pour devenir gris bleu en hiver.
Le changement de saison et d’heure dans la journée sont des thèmes qui intéressent beaucoup les penseurs et les artistes, qu’ils soient peintres philosophes ou architectes et qui ont une réflexion sur la vie et le temps qui passe. On peut alors se rendre compte de la proximité entre l’art et l’architecture.
3) Les effets produits
Pour arriver à créer ses murs tableaux, Ando fait un savant mélange entre l’ombre légère laissée par les irrégularités du mur, les ombres franches portées sur le mur, la pénombre des pièces, la lumière diffuse zénithale et enfin la lumière directe. En composant avec ces quatre matériaux il est possible de matérialiser un tableau avec des éléments qui sont immatériels. C’est en partie cela qui donne la poétique de cette oeuvre à part entière. Le mur est une toile que l’on peint de lumière. Dans ses mises en oeuvre du béton, Ando parvient à dématérialiser le béton, il en fait un matériau noble grâce à son travail sur la lumière. On oublie l’emploi du béton comme matériau porteur de la structure, il fait partie intégrante de la composition des espaces et de l’esthétique du lieu. L’éclairage zénithal, donne au mur tableau une multitude de moments éphémères, le voile lumineux fait ressortir par de petites ombres les jointures des panneaux de coffrage. Le mur porte alors les marques de sa propre histoire. Puis lorsque la lumière ne se pose plus en voile sur le mur, celui-ci redevient un mur presque banal, plat, seulement rythmé par la trame des trous qui correspond aux tiges d’écartement et le module des plaques. C’est la lumière qui révèle toute chose ; plus la lumière se fait rare, moins l’on voit les détails et par conséquent le mur paraît plus lisse. Le matériau béton étant gris, il est très sensible aux variations de lumière et peut facilement passer du blanc au noir en fonction de l’éclairage qu’il reçoit. Et c’est là tout l’interêt de ce matériau : le contraste.
De plus, le fait de désolidariser la dalle du mur donne l’impression que ce plafond rès massif ne repose sur rien hormis une poutre, ce qui a pour effet de donner l’illusion que ce mur n’est pas porteur, qu’il n’est q’un écran qui reçoit de la lumière. La surface du mur est alors baignée d’un voile de lumière traversé par l’ombre franche de la poutre. C’est cette poutre qui est l’élement qui va le mieux retranscrire la temporalité. En effet, selon la saison, la lumière s’engouffrera plus ou moins loin dans la pièce et sur le mur. Au mois de décembre on ne voit pas de lumière, puis, au fur et à mesure, la lumière recouvre de plus en plus la hauteur du mur jusqu’en avril ou elle le recouvre dans sa totalité. Cet aspect dure environ trois mois, puis la lumière va de nouveau entraîner son déclin. L’ombre de la poutre sera quasiment verticale pendant les mois d’été puis se transformera en une diagonale de plus en plus forte dans les mois d’hiver. L’ombre de cette poutre est l’élément principal du tableau et toutes les autres ombres, les autres rythmes, ne sont que le paysage de fond. Comme s’il y avait de la profondeur avec un premier plan et un second plan. Tout le reste, c’est-à-dire le voile lumineux, et les ombres légères des défauts ne sont là que pour mettre en valeur l’ombre franche par un contraste sombre-lumineux.
Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que ce n’est pas l’ombre qui met en scène une lumière mais une lumière qui met en scène une ombre. Cela montre que, peu importe si l’ombre ou la lumière est l’élément le plus important, ce qui donne l’aspect spirituel est le lien et la façon dont ils sont agencés. Cela ramène une fois de plus à la notion de contraste et de mise en valeur.
Le faite d’inonder ce mur de lumière le rend plus lointain, comme déconnecté du reste de la pièce. La lame lumineuse l’a séparé du salon. Ce phénomène se perd si l’on éloigne la fente du mur.Il faut impérativement que cette ouverture soit rasante au mur pour ne pas perdre de sa force, et pour que le mur ne perde pas son rôle d’écran. Et même si la lumière ne pénètre que faiblement et ne vient éclairer que le haut du mur, elle crée une ombre courte sous la poutre qui, par un effet de perspective, donne l’impression que la fente horizontale s’est élargie.
L’idée du mur qui se détache du reste de la pièce est alors gardée. Le fait d’isoler cet élément le rend unique et donc remarquable ; s’il est mis à part, c’est pour qu’on le remarque davantage. Le contraste d’une masse lourde et imposante qui s’appuie sur un élément fragile rend presque magique cet équilibre.
De plus la vive lumière qui entre par cette brèche donne l’impression d’une intervention divine qui viendrait empêcher cette masse de s’écrouler.
II – LE COUPLE MUR – LUMIERE COMME GENERATEUR D’AMBIANCE
Cette partie ne se focalisera pas uniquement sur la maison Koshino comme a pu le faire la 1ère partie. Il est ici question de recenser les différents types d’apports lumineux pour en déduire des effets en fonction des moyens utilisés. De plus, cette partie ne se limitera pas à étudier des effets sur des surfaces mais sur des volumes entiers ; elle est donc en lien direct avec l’architecture, contrairement à la partie précédente qui faisait plus appel à de l’art ( bien que ces deux domaines soient très fortement liés ).
1) Les percements
Dans l’architecture d’Ando, les percements sont toujours minutieusement calculés pour ne rien révéler de ce qui est autour de la pièce. Il faut garder une part de mystère pour immerger le visiteur dans un lieu coupé du monde. Les vues sont arrêté et permettent rarement de voir le paysage ; très souvent l’ouverture donne sur un mur qui est en fait un retournement du bâtiment lui-même, un ciel ou encore un sol.
Les percement zénithaux, qui sont en fait plus précisement des “arrêtés de dalle” à l’approche des murs , permettent des échappées visuelles infinies vers le ciel.
C’est là l’unique façon d’échapper le regard sur la nature sans être confronté au béton. Ce procédé produit une lumière très intéressante car elle peut être très vive lorsque l’on se situe juste en-dessous, mais qui peut être très douce si elle vient se refléter contre une paroi et s’estomper dans un volume.
De plus on constate que, plus le ciel est couvert, plus la lumière qui entre par cette ouverture est homogène et produit des ombres douces. De plus, la répartition lumineuse dans la pièce se fait de façon progressive, elle est très intense sur le mur, puis s’estompe progressivement pour laisser place à la pénombre.
Les fentes verticales reprennent un peu le principe des ouvertures zénithales, si ce n’est que ce n’est pas une dalle qui s’arrête mais un mur. Ces fenêtres permettent
d’éviter la perception d’un angle qui fermerait un volume. Ce procédé vient plutôt réaffirmer la vision d’un mur qui scinde l’espace. Cependant, en fonction de son orientation, cette fenêtre laissera entrer des lumières directes très mobiles si elle est orientée plein Sud, ou au contraire, elle ne montrera que des taches un peu plus lumineuses sur le sol si elle est orientée au Nord. Autre différence avec l’ouverture zénithale, c’est qu’elle donne à voir l’espace extérieur du sol au ciel. Ando n’utilise donc cette ouverture que dans de rares cas ou le cadre extérieur et la composition du bâtiment le permettent.
Dans l’exemple d’une large ouverture au bas du mur, la lumière est continue entre le dedans et le dehors. La lumière rentre en rayon direct et ne fait donc aucune différence avec l’extérieur. Ce que recherche Ando, c’est le lien entre la nature extérieure et l’intérieur du bâtiment. Le visiteur reste dans un espace clos, il ne voit
pas le monde extérieur mais il perçoit toutes les composantes de la lumière ; c’est-à-dire sa couleur et son intensité. Il faut se sentir protégé, dans un volume fermé mais garder toutefois une qualité de vie que l’on ne trouve que dans des ambiances lumineuses naturelles extérieures. Pour arriver à cet effet, Ando joue sur la luminosité au sol qui se trouve être identique à l’intérieur comme à l’extérieur.Ils sont ainsi réunis par une lumière continue qui fait abstraction totale des limites fixées par la matière. En effet, les limites physiques perdent de leur impact en laissant une part importante aux limites créées par la lumière et par l’ombre.
L’évidement est utilisé par Ando pour mettre en valeur une forme.
L’exemple le plus parlant est celui de l’église de la lumière à Ibaraki au Japon. Une croix est évidée dans un mur qui est orienté plein Sud. Ce qui est recherché est de donner une ambiance mystique et spirituelle à ce lieu. Il y a tout bonnement une mise en scène de la lumière qui entre avec des rayons directs par cette ouverture jusque dans la pièce.
Cette lumière est tellement vive et concentrée qu’elle en devient éblouissante et qu’elle cache tout le reste du volume. La pénombre ambiante va mettre en valeur cette croix par un effet de contraste. Ce que l’on remarque, c’est que, plus le contraste est fort, plus ce sentiment de spiritualité est élevé. C’est pourquoi dans cette église la pénombre ambiante est très pesante, très noire.
Afin de ne pas interférer dans la relation entre le béton et les ouvertures, les cadres des fenêtres sont très fins et métalliques. Ceux-ci sont en fait encastrés dans les murs en béton pour réduire d’autant plus leur apparence. La limite du vitrage disparaît, et de ce fait, on lit davantage la limite ombre/lumière que la limite créée par le vitrage. On a alors l’impression d’un lien réel entre le dedans et le dehors comme s’il n’y avait pas de limites physiques.
2) La réflexion
Afin de faire pénétrer la lumière dans ses édifices, Ando joue sur le côté réfléchissant de ses matériaux. Il utilise alors du béton ciré ou encore des planchers en bois pour permettre à la lumière de se réfléchir et ainsi de s’estomper progressivement par un jeu de réflecteur au fur et à mesure que la lumière entre dans la pièce. Le bois reste malgré tout peu utilisé parce qu’il ajoute une teinte lorsque la lumière vient se réfléchir dessus. Selon l’ambiance qui est recherché, le marron n’est pas une couleur adéquate. La réflexion diffuse intervient sur les interfaces irrégulières, la lumière est renvoyée dans un grand nombre de directions et l’énergie du rayon incident est redistribuée dans une multitude de rayons réfléchis. La brillance du béton d’Ando a pour effet d’amenuiser l’expression de sa matérialité. En effet, nous n’avons pas pour habitude de voir des murs réfléchir et diffuser la lumière et les couleurs ; notre attention est donc focalisée sur cette nouveauté et l’on en oublie la composante même des murs : le béton. “Leur présence ( les murs ) est dissoute et seul l’espace qu’ils entourent leur confère une réelle existence” Tadao Ando. Bien entendu les vitrages jouent également un rôle majeur dans la réflexion, ils sont avant tout les percements par lesquels la lumière entre. C’est pourquoi le dimensionnement, la forme, et l’orientation des vitrages sont essentiels. Ce sont eux qui vont laisser rentrer une quantité plus ou moins importante de lumière. De plus, le matériau verre est naturellement très réfléchissant, ce qui est intéressant parce que, une fois la lumière à l’intérieur, elle va se réfléchir sur les murs mais aussi sur le vitrage. Tout cela participe à créer ces sensations que l’on peut ressentir dans ces espaces ; la complexité lumineuse rend ces lieux uniques.
Se mélangent alors des teintes vertes, bleues et grises qui selon l’époque de l’année ne sont pas dosées de la même façon. Une particularité du béton est que, malgré sa couleur grise, il peut revêtir les teintes de ce qui l’entoure. Par exemple, lors de la construction de la maison Koshino, alors que les murs étaient construits mais pas le sol, le béton était teinté de marron, en hiver le béton teinte vers le blanc, et en été vers le vert. La réflexion est le lien fondamental qu’entretient le bâtiment avec la nature, c’est cette couleur, cette intensité qui va permettre de savoir si l’on se trouve en été ou en hiver, si le temps est clair ou plutôt nuageux. Ce jeu savant nous fait oublier que l’on se trouve dans une boîte de béton, dans un bloc massif presque comparable à un bunker. Le fait de retranscrire la couleur de l’espace exterieur à l’interieur rend cette architecture tout à fait viable.
Comme si l’efficacité lumineuse n’était pas encore suffisante, Ando se permet même dans certains projets de les emballer dans des boites de verres ; comme il le fait pour le projet du musée de Hombroich en Allemagne. C’est le même but recherché que précédemment mais avec une lumière beaucoup plus vive et tout aussi complexe. Mais la réflexion n’a pas que pour rôle de complexifier l’ambiance lumineuse, elle permet aussi de diviser non pas matériellement mais visuellement les espaces. Dans la maison Koshino, la fente zénithale qui traverse le salon se trouve prolongée par un jeu de reflets et fait apparaître la maison comme fendue en deux parties : un espace lourd et sombre, et un autre clair et aérien. C’est en regardant les photos que l’on se rend compte de la subtilité et de l’efficacité que peut avoir ce procédé. Comment, par un simple jeu de couleur, on sait que l’on se trouve dans une chambre, dans une cuisine ou dans un couloir. Les espaces changent à cause des couleurs : l’espace devient dynamique.
La dernière façon d’utiliser la réflexion, c’est l’estompement. L’architecture d’Ando est très souvent faite de formes simples ( parallélépipèdes et arcs de cercle ) ; les volumes ainsi créés sont comparables à des boîtes. Comme on peut le voir sur la photo du Musée d’art Chichu, la pièce est plongée dans la pénombre et le mur du fond se détache du reste du volume par le même effet qui a été décrit pour le mur du salon de la maison Koshino. Outre cette similitude, ce qui nous intéresse ici, c’est l’aspect réfléchissant des parois du volume.
Grâce à une homogénéité des matériaux ( sol, mur, plafond en béton ) la lumière qui entre par le fond de la pièce avance et se réfléchit de façon homogène sur les 4 parois de béton. Nous avons alors un dégradé de lumière qui va d’une lumière très vive ( blanche ) à une pénombre de plus en plus forte.
Ajouté à cette complexité, on remarque dans un certain nombre de projets la réflexion et la diffraction lumineuse de l’eau. En ce qui concerne l’église sur l’eau au Japon, les rayons du soleil sont fragmentés, certains se réfléchissent sur le sol, d’autres sur l’eau, et encore d’autres sur les murs. Chaque rayons ainsi reflété vient se mélanger avec un autre rayon reflété et cela va permettre de créer une ambiance lumineuse parfaitement unique. *
3) Les effet produits
Les espaces qui sont créés par Ando sont habités par un sentiment de spiritualité, dramatisés par la lumière extérieure.
Dans la plupart des projets d’Ando, on se rend compte qu’il travaille énormément avec la pénombre, ce qui évoque le secret, l’énigme, le refuge.
La lumière permet de donner du caractère aux espaces, la pièce n’est pas une surface à laquelle on attribue une fonction, c’est un espace esthétique. De plus le sens de l’espace peut changer du tout au tout, simplement en faisant varier la quantité de lumière.
La complexité lumineuse des espaces est en grande partie due à la réflexion de la lumière sur les différentes matières qui composent le bâtiment. Cet écho général des rayons émis par la lumière produit un espace à la fois complexe, animé et chaleureux.
Cette lumière ainsi renvoyée par les différents éléments, apporte à l’intérieur du bâtiment les couleurs présente à l’extérieur. On peut ainsi retrouver selon l’heure de la journée, la saison, une quantité infinie de couleurs. L’intérieur est toujours en lien avec son extérieur ; s’il y a de l’eau au dehors, les nuances seront bleutées, si nous sommes en hiver, les teintes réfléchies seront d’avantages dans des tons gris-blanc.
Le fait d’avoir des espaces sombres pénétrés par des lumières franches donne aux espaces une part de mystère, les murs cachent tout ce qui est extérieur au lieu, on ne peut voir que ce qu’Ando veut bien que l’on voie, c’est à dire de la lumière, c’est ainsi qu’Ando crée du suspense. On ne voit que des fragments d’espaces.
La lumière vient alors renforcer un aspect du mur, comme par exemple sa linéarité, ou inversement, sa courbe.
Ces jeux d’ombre et de lumière donnent des indications importantes sur le chemin à suivre lorsque l’on visite la maison. Tout comme un papillon en pleine nuit, les quelques raies de lumières visibles attirent l’oeil et invitent donc le visiteur à se rapprocher, à avancer.
Ces accroches lumineuses dessinent un parcours, tout comme les maîtres de thés le faisaient. Le parcours est censé mener à une impression de sérénité, de pureté.
Que ce soit dans la musique, la poésie, la peinture ou encore l’architecture, le rythme est un composant très fréquemment employé. Chez Ando, on retrouve un rythme à l’échelle du bâtiment qui intervient directement dans l’organisation interne du bâtiment. La quantité de lumière présente dans chaque pièce invite le visiteur à emprunter telle ou telle direction. Les espaces lumineux sont souvent les pièces de réceptions, alors que au contraire les espaces privés sont plongés dans une ambiance beaucoup plus sombre. La lumière vient alors donner une fonction à chaque espace. Le programme est divisé en deux parties, qui correspondent aux espaces de jour et aux espaces de nuit.
L’impact de la lumière sur les espaces est capable de nous influencer sur la direction que l’on va emprunter. Inconsciemment, notre parcours se divise en différentes séquences ponctuées d’appels lumineux et de ce que l’on peut appeler des “coins sombres”.
C’est pourquoi ces petites ouvertures, ces lumières ponctuelles sont absolument essentielles. Sans cela, l’architecture d’Ando aurait tout du bunker.
Une autre caractéristique de la lumière est de pouvoir organiser des espaces en séparant ou en réunissant des espaces tout comme le ferait un mur mais de manière plus subtile. Inversement, la lumière peut aussi lier des volumes qui n’ont pas la même fonction primaire. Ce duo entre l’ombre et la lumière vient compléter des espaces qui sont dans leur géométrie très épurés, très simples. La forme n’est donc pas l’unique composante de l’espace architectural.
Dans certains cas, l’ombre peut dématérialiser le béton. L’ombre du feuillage des arbres peut absorber le mur et en faire un élément à part entière de la nature.
CONCLUSION :
Les réalisations d’Ando comptent parmi les oeuvres les plus emblématiques de ce siècle. Chaque espace est pensé en tant que volume servant à un usage précis. Celui-ci est dicté par 2 matériaux : le béton qui donne une forme physique à la pièce, et la lumière qui va créer des limites, rejoindre des espaces mais de façon beaucoup plus subtile. Toutes les photos présentées ne sont pas le fruit du hasard. Pour arriver à créer ces ambiances ainsi que ces ombres, chaque composant du bâtiment fait l’objet d’une réflexion : la hauteur et l’épaisseur des murs, l’orientation et la forme des ouvertures mais aussi l’heure à laquelle on prend la photo. Il y a aussi une mise en scène photographique qui révèle l’espace à un moment ponctuel de l’année et de la journée.
Enfin la combinaison du mur et de la lumière permet de retranscrire ce qui se passe à l’extérieur jusque dans l’intérieur des pièces. En effet, Ando masque très souvent l’environnement dans lequel est bâti son projet et le lien le plus important avec l’extérieur, c’est la lumière et l’heure de la journée qui est donnée par les ombres portées.
L’architecture d’Ando est comme habitée par une entité spirituelle intense. Ce qui produit cet effet, c’est le contraste. L’architecte joue sur une composition de sombre et de lumineux pour mettre en scène une lumière ou une ombre. On remarque que cette mise en scène lumineuse se retrouve très souvent dans les bâtiments religieux où la lumière est le symbole de la vie, de la toute-puissance.
L’alliance du béton et de la lumière joue sur un contraste lourd-léger qu’Ando maîtrise à la perfection ; cependant l’architecture des bunkers est aussi faite de béton et de lumière et pourtant le résultat est tout autre.
Même sans être aussi extrémiste dans les comparaisons, Le Corbusier travaille lui aussi avec ces mêmes matériaux et pourtant les effets ne sont pas du tout les mêmes. Il y a donc d’autres composants dans l’architecture d’Ando comme l’agencement des volumes, la sensibilité à la nature, ou encore, le traditionalisme nippon.