Les arts des Woodlands de l’Est
Dans les Woodlands de l’Est comme dans d’autres régions américaines, d’importantes évolutions culturelles ont suivi l’acclimatation locale de l’agriculture d’origine mésoaméricaine. Celle-ci, qui s’inscrit dans la longue durée, a favorisé l’évolution des villages en villes puis en métropoles régionales, résidence des élites politiques, économiques, militaires et religieuses engendrées par le nouveau système social. Dans l’Ohio, par exemple, ces premiers centres prirent l’aspect d’ensembles cérémoniels organisés autour de grands tertres en terre, dont le plan adopte soit une forme géométrique symbolique, soit stylisée, prenant la forme d’animaux comme l’ours ou le serpent, protagonistes des mythes amérindiens. Ces changements intervinrent et se répandirent au cours de la tradition du Mississippien tardif, de 700 à 1 400 apr. J.-C. environ, dont on retrouve des éléments dans tous les Woodlands de l’Est. Cependant, les plus grands centres cérémoniels furent fondés au sud, sur les sites de Moundville (Alabama), d’Etowah (Géorgie), de Cahokia (Illinois) et de Spiro (Oklahoma) (voir la carte). Il s’agissait d’importantes cités, s’étendant sur plus d’une centaine d’hectares, composées de maisons et de tertres de terre rectangulaires particulièrement grands. Ces édifices immenses étaient généralement surmontés de plates-formes sur lesquelles se trouvaient des bâtiments en bois qui servaient d’habitation aux gouvernants et aux chefs religieux, et accueillaient les cérémonies funéraires.
On trouve à Moundville, dans le centre-ouest de l’Alabama, un exemple d’agglomération et de centre cérémoniel typiques de la tradition du Mississippien. Le site était la métropole d’un ensemble de villages agricoles qui s’étendaient sur 80 kilomètres le long de la vallée fertile de la Black Warrior River. La ville ancienne, en grande partie protégée par une palissade de bois, couvrait environ 200 hectares. On estime à trois mille personnes la population urbaine, comprenant les nobles, les prêtres, les artisans et les ouvriers, tandis que les communautés paysannes des environs regroupaient de six à dix mille habitants. Un nouveau vocabulaire d’ornements, d’instruments, de céramiques et de figures sculptées en bois et en pierre apparut, en réponse aux besoins des nouvelles classes dirigeantes, demandeuses d’objets cérémoniels et d’offrandes funéraires. On retrouve ici les images symboliques du soleil, de l’eau, et la référence aux quatre points cardinaux, comme dans les autres sites de culture mississippienne classique. De nombreux thèmes de l’iconographie mississippienne tardive sont représentés dans les objets de magnifique facture trouvés à Moundville. Des haches et des palettes en pierre finement polies destinées aux hommes de haut rang, des pipes en pierre zoomorphes (02-03) et quelques rares représentations humaines étaient utilisées dans les cérémonies (09).
Le plus grand site ancien de toute l’Amérique du Nord, Cahokia (Illinois), se trouve à la même latitude que Saint Louis, sur la rive est du Mississippi. C’est un immense complexe d’habitations et de constructions cérémonielles qui couvre plus de 15 kilomètres carrés et qui n’accueillait pas moins de vingt mille personnes. On y trouve une bonne centaine de tertres, dont le plus grand, le Monks Mound, s’étend sur 6 hectares et s’élève à 30 mètres de hauteur. Les artisans de Cahokia produisaient des objets comparables à ceux de Moundville et des céramiques anthropomorphes.
L’influence de la culture du Mississippien s’étendit à l’ouest jusqu’au site de Spiro (Spiro Mounds), en Oklahoma. Le peuple de Spiro adapta les formes culturelles de manière spécifique, mais ce qui le caractérise surtout c’est que, de tous les sites culturels comparables du Sud-Est, il a produit le plus grand nombre d’ornements en coquille gravée et en cuivre repoussé (06). Ces décors constituent le répertoire iconographique le plus complet de la région. Les plaques de cuivre représentent des guerriers dansant, dont les costumes et les coiffures recherchés en plume rappellent les formes mayas de la Mésoamérique. Les costumes et les peintures corporelles font référence à des oiseaux de proie tel le faucon pèlerin (05) ou à des prédateurs redoutables comme le crotale. Ces parures, réservées aux seuls dignitaires, étaient recouvertes de motifs variés reliés à un système cérémoniel évolué, le « culte du Sud » (Southern Cult). Ces motifs font partie d’un vocabulaire décoratif commun à Moundville, à Etowah et à Cahokia : croix à quatre branches égales représentant les quatre points cardinaux, des symboles solaires (07), « œil en pleurs » du faucon pèlerin, mains humaines avec un œil (08) ou une croix, haches à double tranchant, crânes et ossements humains.
Les centres cérémoniels comme celui de Spiro perdirent progressivement leur population et, leur construction cessa à partir du XVIIe siècle. La raison en fut principalement l’intrusion des Européens et les bouleversements sociaux qui en résultèrent, ainsi que l’introduction par eux de maladies nouvelles (rougeole, variole) qui décimèrent une population non immunisée. Après la période d’expansion euro-américaine, certaines tribus, tels les Natchez et les Caddo, étaient restées sur place. Cependant, au XIXe siècle, un grand nombre de tribus de la région sud-est des Woodlands de l’Est furent transférées de force par le gouvernement des États-Unis dans les réserves de l’Oklahoma ; leurs descendants y vivent encore et y observent nombre de leurs traditions ancestrales.