La côte nord du Pérou : Les Mochicas et les Incas
Les vallées de la côte nord du Pérou abritent et nourrissent depuis 8 000 ans au moins des peuples dont les civilisations créèrent les plus grands centres urbains de toute l’Amérique du Sud. De 900 à 200 av. J.-C., l’influence de la culture chavín se fit fortement sentir dans ces régions comme l’atteste de nombreuses céramiques.
À partir de 100 av. J.-C., un nouvel État s’étendit depuis la vallée du fleuve Moche, qui se trouve au milieu de la côte nord. Le peuple de Moche (les Mochicas) y établit un pouvoir théocratique puissant qui domina, de 200 à 750 apr. J.-C environ, la zone s’étendant de la vallée de Lambayeque à celle du Rio Nanpeña, à 250 kilomètres au sud. (voir la carte et voir la chronologie) Très hiérarchisée, la société mochica fonctionnait selon un système de type féodal fondé sur le contrôle de la terre et de ses ressources. La ville de Moche, grand centre administratif, militaire, économique et religieux, comprenait de vastes zones d’habitation et un complexe cérémoniel immense qui couvrait des centaines d’hectares, dominé par deux massives pyramides à degrés, en briques crues.
L’édifice le plus important, la pyramide dite « du Soleil », sur une base de 228 mètres sur 136, s’élève à 41 mètres au-dessus de la place qui la relie à d’autres temples à plate-forme. Non loin, les Mochicas érigèrent une autre grande structure en adobe, appelée « pyramide de la Lune », sur laquelle ils construisirent une série de bâtiments comprenant des grandes salles entourées de cours. Des archéologues ont découvert dans ces salles des murs entièrement peints représentant des cérémonies rituelles.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’étude de cette culture, a permis, grâce à sa céramique, de définir cinq phases stylistiques principales. Alors que les formes et les proportions des récipients évoluaient progressivement, les motifs figuratifs de la sculpture et de la peinture gagnaient en réalisme, en sens du détail et en complexité visuelle. La forme la plus typique était la jarre à goulot en étrier, modèle venu de l’aire chavín. Ce type de récipient était très pratique : son goulot étroit réduisait l’évaporation et l’anse, qui permet le passage du liquide d’un côté et de l’air de l’autre, le rendait facile à transporter (154). Progressivement, le style évolua vers des compositions narratives détaillées couvrant toute la surface du vase et de la poignée (166-167).
Les représentations, étroitement liées aux croyances et à l’ordre théocratiques de l’État, accordent notamment une place importante à la faune et à la flore (169-170-172). Parmi les motifs animaliers, très utilisés,lachouette (171) et l’aigle relèvent directement de l’iconographie sacrée. Le renard, le jaguar (153), le singe, le serpent ou le lion de mer renvoient plutôt à l’univers surnaturel des guérisseurs et des chamans. Au nombre des plantes, on reconnaît des espèces sauvages ou cultivées : courge, haricot (165), poivron, différents types de gousses sauvages dont celles de l’acacia connu pour ses pouvoirs hallucinogènes et thérapeutiques.
La vie cérémonielle et religieuse est également abordée sous forme de scènes : des gens s’approchent du trône et présentent des offrandes à leur souverain richement vêtu (164). Les styles picturaux tardifs illustrent des thèmes encore plus élaborés composés de nombreux personnages et de séquences narratives qui témoignent d’une observation aigüe de l’espace — visualisation de la profondeur — et du mouvement.
L’art mochica parvint tout particulièrement à mettre en valeur l’individu à travers certains détails vestimentaires distinctifs ou des ornements et attributs officiels que sont les coiffures figuratives, les casques, les massues, les bâtons, les couteaux ou les bijoux (156-157). Mais au-delà de ces signes extérieurs, l’attention portée à la physionomie singulière est tout à fait nouvelle. Ainsi, un grand nombre de céramiques peintes ou, plus encore, sculptées, sont des portraits (159-160). Les plus saisissants sont en forme de vase et traduisent avec une grande sensibilité le regard et le caractère du modèle (158).
L’expansion inca, quant à elle, commença vers 1200 à partir de leur territoire situé sur les hautes terres méridionales. Cuzco, leur capitale, était la résidence du souverain, des nobles de la cour, ainsi que des dirigeants administratifs, militaires et religieux et de leurs familles. Le nom « inca » désigne le souverain de droit divin, sa famille, l’entourage des chefs résidant à Cuzco, et toute la population de l’Empire. La domination des Incas ne doit rien aux innovations techniques ou agricoles, mais tient plutôt à leur compétence militaire — armée de métier performante — et administrative — organisation du travail par groupes de 10 000 personnes, subdivisés en 5 000, 1 000, 500, 100, jusqu’à 10, avec un responsable à chaque échelon. Ce système parfaitement intégré faisait remonter l’information jusqu’à son centre, à Cuzco. Son unité était assurée par la langue, la religion et une politique tolérant le maintien des coutumes religieuses locales.
En céramique, en art textile, dans le travail de l’or, de l’argent et du cuivre, et en sculpture, les Incas créèrent un style décoratif original mais plus conservateur que nombre de ceux qui l’avaient précédé. Il se limita, en céramique, à quelques formes élégantes nouvelles comme celles des aryballes, jarres ornées de petits motifs géométriques répétitifs (174). Ils produisirent aussi des figurines moulées en argent, représentant des êtres humains et des lamas. Leur taille réduite pourrait indiquer qu’il s’agissait d’images pieuses à usage individuel ou d’amulettes. Les Incas créèrent, en revanche, une forme nouvelle de récipient pour boire, nommé kero (175-176). Ces timbales évasées, en bois, sont ornées d’incisions et peintes. Ces keros présentent deux zones décorées : l’une, vers le bas, est souvent saturée de motifs géométriques inspirés des tissus ou des plantes, l’autre, vers le bord supérieur, représente généralement une procession de personnages en costume. Ces keros peints sont les seuls témoignages visuels incas représentant des notables, des prêtres, des guerriers, des commerçants et même des Espagnols (177).
La mort de Huayna Cápac à Quito, en 1525, marqua la fin de l’Empire inca et le début de la domination impériale espagnole sur le Pérou et sur la majorité de l’Amérique du Sud andine. Ainsi prirent fin les milliers d’années de développement culturel indépendant des peuples habitant les Andes et de tous les pays d’Amérique du Sud. Les peuples autochtones durent s’ouvrir aux influences de la langue, de la culture et de la religion européennes. Cependant, de nombreux aspects de leur culture survécurent, notamment dans les régions montagneuses. L’art du tissage (179-180-181), dont la pratique est toujours forte aujourd’hui, reste peut-être le lien le plus vivant avec les grandes traditions des ancêtres.