Architecture La modernité japonaise
Source : toutsurlarchi.com
Souto de Moura Architecte
A travers ce mémoire, nous aimerions porter un regard analytique sur une certaine évolution de l’architecture japonaise actuelle. Alors même que l’occident a dû renverser sa tradition pour devenir « moderne », les japonais ont tout simplement ressuscité des parties de la leur. Et ceci fait ressortir une différence fondamentale entre les deux cultures. L’occident procède par révolution, par une bataille entre génération qui est supposée régénérer le meilleur du passé, alors que le Japon procède par la confrontation entre le passé et l’avenir. Depuis la maison impériale Katsura jusqu’à Sou Fujimoto, en passant par Andô, nous essaierons de montrer sur quels rapports, entre tradition et modernité, se fonde cette nouvelle pensée du projet.
MODERNITE JAPONAISE
“C’est au Japon que je suis né et que j’ai grandi, et c’est là aussi que j’ai conçu mon architecture. Et l’on peut dire sans doute que ma méthode consiste à utiliser les techniques et le lexique d’un modernisme ouvert en le traduisant par des formes empruntées à la vie quotidienne et aux particularités régionales.”
“Je m’intéresse au dialogue avec l’architecture du passé [...] mais qui doit être filtré par ma vision personnelle et ma propre expérience. Certes, je suis redevable à Le Corbusier comme à Mies Van der Rohe, mais en même temps, j’assimile ce qu’ils ont fait et je l’interprète à ma manière.”
La première impression suscitée par l’architecture de Tadao Ando, c’est la matérialité. Ses murs puissants, en béton, établissant une limite. La seconde impression, c’est la tactilité. Au toucher, les murs rigides semblent doux. Ils excluent puis environnent, laissant entrer la lumière, le vent et le visiteur de passage, qui laisse derrière lui le désordre du quotidien pour venir se réfugier dans un havre de tranquillité. La troisième impression, c’est le vide. A l’intérieur seuls la lumière et l’espace entourent le visiteur.
Les bâtiments de Tadao Andô font preuve d’une présence qui est liée à l’épaisseur même de leurs murs en béton. Ils symbolisent la rencontre entre la nature et l’architecture.
“Fermer pour mieux ouvrir notre esprit à des sons purs oubliés ou délaissés”
“Parfois les murs manifestent un puvoir qui borde la violence. Ils ont le pouvoir de diviser l’espace, transfigure le lieu, et de créer de nouveaux domaines. Les murs sont les éléments les plus fondamentaux de l’architecture, mais ils peuvent aussi être la plus enrichissante”.
Dans l’impossibilité de conserver des habitations ouvertes sur la nature, en raison du développement anarchique des villes, Andô propose ce qu’il appelle “l’architecture moderne fermée”, qu’il définit comme “la restauration, selon un mode contemporain, de l’unité entre habitation et nature, unité qui a disparu dans le processus de modernisation”.
Si Andô a créé de multiples espaces généreux, les murs y jouent un rôle crucial. Ses murs sans ornement sont puissants et lourds.
Andô utilise les murs aussi bien pour délimiter les parcelles que pour fournir un arrière plan aux espaces intermédiaires. Cette double utilisation n’est pas sans faire rappeler celle couramment utilisée dans l’architecture traditionnelle japonaise.
Dans le principe du paysage rapporté, soit dans la mise en scène du jardin et du paysage telle qu’elle apparaît lorsqu’on s’assied dans l’engawa, le mur sert d’arrière plan au jardin.
Ainsi Tadao Andô introduit dans son architecture la notion de “nature qui a été rendue abstraite”. Cette notion ne se comprend aisément que par rapport à une inspiration occidentale (la théatralisation de la nature en occident).
Ses murs en béton, ne sont en rien comparables à ceux que l’on trouve chez Le Corbusier, que ce soit par leur raison d’être, leur texture ou la perception que l’on peut en avoir. Expliquant au contraire qu’il souhaite les “faire disparaître”, andô les rapproche des shôji, les parois de papier des maisons traditionnelles, ainsi transcrites dans un matériau contemporain. “Le béton que j’emploie n’a ni rigidité plastique ni poids. Au lieu de cela, il doit être homogène et léger, et créer des surfaces. Lorsqu’ils entrent en accord avec ma vision esthétique, les murs deviennent abstraits, ils sont niés et s’approchent de la limite ultime de l’espace. Leur présence est dissoute et seul l’espace qu’ils entourent leur confère une réelle existence.”
En ce qui concerne l’influence exercée par d’autres architectes, on cite souvent Le Corbusier et Louis Khan. Cependant, Andô a interprété leur architecture à sa manière, en y intégrant une philosophie toute japonaise.
Andô cherche à dépasser les formes traditionnelles. Ce qu’il souhaite transmettre de la tradition, c’est l’esprit, la sensibilité. De l’architecture traditionnelle Andô a retenu la manière dont les clôtures-shôji et paravents- créent de intervalles, ménagent des pauses ; il évoque la légèreté des murs et la présence des ouvertures, disposées de façon à cadrer des vues.
L’architecte résume ainsi son travail : “il s’agit pour moi d’ordonner l’architecture par le biais de la géométrie en prenant pour base des formes simples, exclusivement limitées au carré, au rectangle, au cercle et à leurs sous-divisions, d’opérer une sélection parmi les forces latentes environnantes et de faire progresser la logique des parties inhérente à la sensibilité japonaise”.
ROW HOUSE, Sumiyoshi, Osaka
1975-1976
Le contraste est évident entre ce plan de béton et son environnement. Andô n’utilise ici que deux formes rectangulaires :
la façade et la porte. La maison se divise en trois parties égales : en bas, une salle de séjour et une cuisine, au-dessus, deux chambres séparées par une cour extérieure, enfin, l’escalier qui dessert l’étage supérieure. Depuis les chambres, il faut passer par la cour pour accéder à la salle de bains, située au rez-de-chaussée. La cour de la maison est un lieu caché, coupé du bruit de la cité. Elle ne s’ouvre que sur le ciel. Il s’agit d’une fenêtre qui reçoit la lumière, le vent et la pluie pour que la nature puisse pénétrer. Ceci surprend la visiteur occidental, mais semble sans importance pour le japonais qui, selon Andô, « ont l’habitude de vivre au rythme de la nature ». Ces murs muets cadrent un paysage et nous font prendre conscience du changement de saisons. Malgré son plan rigoureusement géométrique, cette maison, sa façade surprenante et sa cour centrale ouverte s’inscrivent totalement dans la tradition japonaise.
KOSHINO HOUSE, Ashiya, Hyogo
1979-1981, 1983-1984 (atelier)
Comme toutes les maisons construites par Ando, celle-ci porte le nom de sa propriétaire, Madame Koshino Hiroko, qui est créateur de mode. Des le commencement de ses activités professionnelles, elle souhaitait faire construire une maison dans un site montagneux. La nature y est encore abondante, car protégée des interventions humaines par un relief mouvementé et abrupt. Cet environnement attirait Madame Koshino, car il est possible d’y sentir avec force le changement des saisons. L’intérêt porté à cette expérience est en fait très présent dans la culture japonaise. Le terrain qu’lle a trouvé se trouve dans le mont Rokko, près de la ville d’Ashiya et qui présente la particularité d’être à l’intérieur d’un parc national.
Le plan original construit en deux volumes parallèles, en forme de boîtes, reliés par un corridor souterrain. Le bloc le plus long et le plus éloigné de l’entrée contient une suite de six pièces identiques, qui ne sont pas sans rappeler les cellules monacales du couvent de Sainte Marie de la Tourette par le Corbusier ( Evreux-l’Arbresle, France, 1952-1959). Le couloir qui y conduit est éclairé par une série de fenêtres en forme de fentes, que l’on a comparé à celles de Luis Barraganpour sa maison Francisco Gilardi (Mexico, 1976). L’espace intérieur le plus expressif est la salle de séjour de double hauteur sous plafond, située dans le premier bloc près de l’entrée. Les fenêtres sont disposées pour n’offrir qu’une vue limitée sur le jardin, mais laissant pénétrer la lumière, qui réagit au passage des nuages et du temps et inonde les grands plans de
béton et les anime. Ando s’explique : « des éléments tels que la lumière et le vent n’ont de sens que lorsqu’ils sont introduits à l’intérieur d’une maison sous une forme détachée du mode extérieur. Ces fragments isolés de lumière et d’air évoquent la totalité du monde naturel… ». Toute la maison est construite en béton, et ces différents plans en béton remplacent les traditionnelles séparations en bois et en papier de riz.
NOUVELLE GÉNÉRATION
Aux yeux de la nouvelle génération d’architectes japonais, l’architecture d’Andô apparait comme trop lourde, trop statique, trop attachée au lieu. Ces derniers, à la recherche d’une architecture contemporaine qui s’inscrive dans une certaine
continuité par rapport à l’architecture traditionnelle, sont davantage enclins à utiliser du métal pour les structures ainsi que des panneaux perforés et du verre translucide pour les parois, cela afin de rappeler les shôji des maisons traditionnelles. A partir des années 1990 et après la “bulle” économique, la plupart des jeunes architectes cherchent à s’inscrire dans la ville en prenant en compte le tissu hétérogène et mouvant de l’espace urbain japonnais. Parmi ces jeunes architectes, Kazuyo Sejima, Ryue Nishizawa et Sou Fujimoto, recourent aux notions de légèreté ou d’abri ; leur architecture se donne comme une peau transparente, à l’opposé des constructions en béton de Tadao Andô.
Cette nouvelle génération développe une architecture originale, immatérielle et fluide. Celle-ci aboli la pesanteur des matériaux et transcende la notion d’espace. L’idée de façade principale ou secondaire est souvent exclue au bénéfice d’une
conception originale qui en fait une membrane établissant des rapports subtils entre l’intérieur et l’extérieur. C’est un travail à la fois lumineux et minimal dans son esthétique mais également très sophistiqué dans le traitement des détails et la réalisation technique des bâtiments. Cette architecture est guidée par une profonde volonté de respecter le contexte dans lequel elle s’inscrit et de s’affirmer par un rapport audacieux avec la nature et l’environnement. Les projets ont souvent une esthétique minimaliste : formes épurées, matériaux lisses, monochromes, clarté du plan. La structure n’apparaît pas, ou alors paraît insuffisante. L’architecture dans certains cas, semble bidimensionnelle, à peine plus
élaborée que le schéma initial.
GIFU,KITAGATA APARTEMENTS
1994-2000
L’ensemble de logement collectif Gifu Kitagata (1994-2000, Gifu), de Kazuyo Sejima, s’inscrit dans un projet plus grand dont le plan d’ensemble a été fait par Arata Izosaki. Quatre ensembles de logement, chacun réalisé par une femme, se situent en périphérie du site an de dégager l’espace central et d’en faire un espace commun.
Le projet de Sejima comporte 11 étages et est très mince, sa largeur correspondant à une unité. Le bâtiment est sur pilotis, dégageant ainsi un espace de stationnement et créant une plus grande perméabilité entre la rue et l’espace central. Les escaliers sont apparents en façade an de dynamiser l’ensemble, qui pourrait sembler très
massif.
Le bâtiment est préfabriqué et a une structure régulière. Chaque unité est définie par cette structure, et l’unité ne représente pas un appartement, mais bien une pièce. En effet, comme Kazuyo Sejima l’explique, elle veut redéfinir le concept d’unité, qui ne correspond plus aujourd’hui à l’unité familiale telle que décrite par Le Corbusier dans l’unité d’habitation de Marseille, projet qui l’a influencé dans le sens où elle base son architecture sur les prémisses du modernisme. Les logements doivent désormais accueillir différents groupes sociaux, tels que les étudiants en colocation,
les couples non mariés. En considérant chaque pièce comme unité, elles peuvent être agencées différemment et convenir à plusieurs modèles familiaux.
Une autre notion importante est le contact direct avec l’extérieur. Chaque logement a une terrasse, véritable pièce extérieur. Le jardin, fondamental dans la société japonaise, a trop souvent disparu dans les grandes villes, et Sejima croit qu’il est nécessaire à la vie quotidienne et le réinterprète. La nature entre donc dans la vie quotidienne par le biais de l’air frais, du vent, du soleil. Cette terrasse traverse le bâtiment, ce qui créé un lien visuel entre l’avant et l’arrière et une porosité dans le volume. De plus, ces terrasses donnent sur la circulation collective, favorisant l’échange.
Chaque logement comprend une cuisine, une terrasse, une ou plusieurs chambres et une pièce avec un tatamis. En plus d’augmenter la flexibilité pour ses habitants, les différents agencements possibles de cellules permettent d’avoir une variété de logements, dont certains en duplex, et de dynamiser la façade puisque la coupe est visible en façade. Les différentes cellules d’un même logement sont réunies par la « sun room » ou engawa, un corridor complétement vitré au sud. Chaque pièce peut s’ouvrir sur cet espace ou se refermer pour une plus grande privacité. Les pièces de vie s’ouvrent également sur la coursive, ce qui permet de mélanger privés et public et de favoriser les interactions sociales. La coursive devient une zone tampon, entre le privé et le public, renvoyant à l’engawa traditionnel, cet espace d’entre-
deux.
C’est un projet qui renouvelle l’approche à l’industrialisation et qui montre que préfabrication n’est pas nécessairement synonyme de répétition et monotonie. C’est un projet qui pose un regard plein d’humanité sur le logement collectif, en introduisant des notions de liberté, de rencontre, de contact entre les gens, le nature, la ville.
Maquette d’un logement
couloire de desserte sun-room
HOUSE IN PLUME GROVE, Tokyo
2001-2003
Le rédacteur publicitaire Miyako Maekita et son mari qui est un producteur de film publicitaire, avaient un petit site dans un secteur résidentiel près de Tokyo. C’était un site de seulement 92,30m² sur lequel des arbres de prune et des fleurs sauvages ont poussé, ce qui lui donna cette image d’un vrai jardin à l’intérieur de ce secteur résidentiel. L’intention du couple, était de rejeter l’idée qu’une maison devrait représenter le pouvoir économique et attirer l’attention. Leur maison devrait être beaucoup plus spirituelle, un endroit pour détendre le corps. La maison apparaît comme un cube blanc fermé. La porte est confondue avec le mur, le paillasson et le petit auvent étant les seuls signes de saprésence. En outre au lieu d’ouverture classique, un plat de forme carrée, sont fait sur les murs extérieurs.
Pas de murs ordinaires : les cloisons permettent de rendre indépendante les pièces entre elles, avec des percements pour les relier. Ainsi, les pièces sont à la fois connectées et indépendantes.
Économie : espace ayant une petite surface, il a été utilisé à son maximum. La structure de la maison est construite avec des tôles d’acier, ce qui réduit l’épaisseur des murs extérieurs de 50mm et les murs intérieurs de 16mm. De cette façon, la structure, les murs et les étages se confondent et chaque partie semble avoir le même poids.
Circulation : interprétant l’idée d’une pièce studio, l’architecte a connecté les chambres individuelles entre elles. Des ouvertures sont réalisés dans les murs intérieur, dans le but de relier les pièces entre elles, et laissées sans verre (vitre). Ceci offrait de nouvelles possibilités. Certaines pièces donnent, par le biais de l’ouverture sur une autre pièce.
L’air circule librement à travers ces ouvertures, de chambre en chambre, et l’individu peut entrer ou sortir à volonté.
WEEKEND HOUSE, Gumma
1997-1998
Il s’agit d’une maison de weekend située dans village près d’une voie expresse, à deux heures de Tokyo. Le client a demandé une villa de weekend comprenant un espace conséquent afin d’afficher les oeuvres de sa fille, qui est peintre, avec une structure contenant le moins de fenêtres possibles, pour des raisons de sécurité, du fait de l’emplacement de la maison sur un secteur très boisé et coupé des autres habitations alentours. La maison est soutenue selon un système constructif poteau poutre, ce qui permet de dégager un maximum d’espace au sol. Ainsi, l’architecte semble s’inspirer de la maison traditionnelle. Des jardins sont crées à l’intérieur.
CONCLUSION
Après le refus de la ville chez Tadao Andô (à ses débuts), et la lecture de son chaos comme signe de vitalité, les architectes proposent aujourd’hui un nouveau lien avec la ville. La limite entre le bâtiment et le contexte urbain tend à s’effacer. La nature et la ville pénétrent dans les projets qui participent, souvent à une petite échelle, à construire l’environnement urbain. La volonté est très claire de créer des espaces de rencontre et de dialogue. Une grande transparence dans le but de réconcilier le bâtiment à la ville où public et privé se rencontrent souvent dans une zone tampon, où se mêlent intérieur et extérieur.
La flexibilité et la notion d’évolution reviennent souvent. C’est une question qui n’est pas nouvelle, déjà présente dans l’architecture traditionnelle, modulable par le tatami et flexible grâce aux panneaux coulissants pouvant séparer les espaces au besoin. Aujourd’hui, les architectes proposent des espaces flexibles et évolutifs d’une nouvelle manière, en offrant des espaces flexibles mais expressifs, comme les cellules des appartements Gifu, qui se configurent différemment pour différentes familles.
Les projets contemporains sont influencés par les courants occidentaux, notamment le modernisme, mais ne renient pas la tradition japonaise, souvent réinterprétée en terme d’espace ou de materialité. En effet, les parois translucides et minces ressemblent aux shojis, parois de papier dans l’architecture traditionnelle, et la relation intérieur/extérieur n’est pas sans rappeler cette architecture traditionnelle. Les architectes japonais font souvent référence à l’engawa, terrasse ni intérieure ni extérieure, pour parler des espaces tampons qu’ils créent et la flexibilité spatiale renvoie à l’espace modulable.
Il faut savoir, si certains traits fondamentaux de la tradition sont si présents aujourd’hui, c’est probablement plus parce qu’ils répondent à des préoccupations contemporaines que par pur désir de perpétuer la tradition.
“Je ne suis pas spécifiquement attentive
à l’architecture traditionnelle. C’est
probablement dans mon sang.”
Kazuyo Séjima
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